PAYSAGES ET
BIODIVERSITE : QUEL LIEN ?
« Portion de territoire perçu par un observateur »
[1]
La définition du paysage telle qu’elle s’expose dans les
dictionnaires, n’éclaire pas, à la première lecture, sur le lien, qui pourrait
paraître implicite entre le paysage et la biodiversité.
S’il n’était que « portion de territoire », le
lien serait consubstantiel et il
s’agirait là de traiter de « l’écologie du paysage » (terme impropre
pour certains tenants d’une définition stricte du paysage) c’est-à-dire, plus précisément,
de l’écologie du territoire ou de l’écologie spatiale.
Mais la définition, en
effet, ne dit pas que le paysage est une portion de territoire, elle dit, plus
précisément, qu’il l’est, « tel que perçu par un observateur ».
Il s’agit donc plus d’affaire
de sens (c’est principalement la perception visuelle qui implique le paysage)
et de culture (l’observateur et ses référents) que de connaissance (la
géographie, l’écologie).
C’est ici que ce lien
paysage/biodiversité pose question et mérite qu’on s’y arrête pour en cerner
l’éventuelle réalité ou les spécificités.
Chacun sait voir et reconnaître, dans une portion de
territoire, des formes, motifs, structures qui caractérisent un paysage, en
tant que différent d’un autre, parce qu’ici le système de haies de cyprès dense
identifie la huerta provençale de la basse vallée du Rhône là, la ligne de
saules caractéristique de par sa taille en têtard évoque le paysage des
secteurs inondables de la vallée de la Loire ou là encore, le versant bâti de
murettes permet la reconnaissance des reliefs méditerranéens.
Ces structures
paysagères (*) caractérisent (participent à l’identité) de chaque paysage, dans
leur diversité.
S’y condensent,
histoire, géographie, économie, savoir-faire, transmission,
identification ; nous reconnaissons là les fondements d’une culture.
Bien entendu, ces
« structures »(*) et « éléments de paysage »(*)
participent à la vie biologique des territoires, ici « habitats », là
« corridors » pour une espèce, source pour une autre, puits, coupure
ou matrice pour d’autres espèces encore.
Une économie
différente, d’autres influences et savoir-faire, auraient produit d’autres
structures et leur aurait donc conféré un autre rôle dans l’écologie des
territoires.
Aborder un projet de
territoire sous l’angle stricte de la biodiversité pourrait amener à
proposer de remplacer une structure paysagère identitaire mais
« neutre » ou pénalisante pour une espèce prioritaire dans la lutte
contre l’érosion et conduire ainsi, à une transformation formelle radicale du
paysage, qui pour l’observateur, pourra être considérée comme une agression
(une perte de repère et d’identité) aussi troublante que l’implantation d’un
champ d’éoliennes ou d’un quartier nouveau mal conçu.
Les démarches
mono-disciplinaires ici, (l’approche par la seule écologie spatiale) pourrait
dans ce cas conduire à une banalisation des paysages (ils se
ressembleraient tous) comme le commerce hors sol des grands groupes banalise les entrées de villes.
Bien entendu, le trait
est ici exagérément forcé puisque, une des réponses à l’érosion de la
biodiversité est l’offre du maximum de diversités de milieux (et de
paysages ?).
Pour autant, cette diversité de milieux ne doit pas, dans sa
conception, ignorer la diversité culturelle des paysages, c’est-à-dire la
manière dont une population se reconnaît dans des formes de référence héritées
autant de la transmission culturelle que des approches rationnelles.
Concrètement, si l’écologie du paysage (du territoire en
fait) est la discipline maîtresse en terme de connaissance et d’élaboration de
propositions permettant aux outils d’aménagement du territoire de participer à
la lutte contre l’érosion de la biodiversité, le paysage apporte quant à lui,
une reconnaissance de la réalité sensible et de la diversité morphologique et
formelle du territoire, héritée des savoir-faire et de cultures
locales qui font référence à ce que certains désignent par le terme de
« biodiversité culturelle » (qu’il vaudrait mieux désigner par
« cultures et biodiversités ».
Après que les confusions de termes
(paysage et écologie du paysage) sont levées, il devient
plus aisé d’esquisser des approches méthodologiques conjointes entre le
naturaliste et le paysagiste, dans la mise en œuvre des outils spécifiques du
paysage, comme les Atlas, des Chartes ou plans de paysage :
en
intégrant dans l’identification des « unités de paysage » (*) la
désignation des espèces inféodées aux structures (*) et éléments de paysage (*)
caractéristiques de telle ou telle unité ;
en
accompagnant la description des enjeux d’évolution de chacune des unités
paysagères, des conséquences en terme d’enjeux d’évolution de la biodiversité
;
en
établissant les liens possibles entre les continuités paysagères d’un
territoire et les corridors écologiques qu’ils peuvent représenter dans la TVB.
Ces évolutions méthodologiques des démarches paysagères
permettaient de vérifier la pertinence de recherche de lien entre deux champs
disciplinaires (culturels et scientifiques) aussi distincts.
PAYSAGE, UN VOCABULAIRE COMMUN :
LA CONVENTION EUROPÉENNE DU PAYSAGE
Paysage :
Partie de territoire telle que perçue par les populations,
dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de
leurs interactions.
Unités paysagères :
Une unité paysagère correspond à un ensemble de composants
spatiaux, de perceptions sociales et de dynamiques paysagères qui, par leurs
caractères, procurent une singularité à la partie de territoire concernée. Elle
se distingue des unités voisines par une différence de présence, d’organisation
ou de formes de ces caractères.
Dans les Atlas de paysages, les unités paysagères sont
identifiées à l’échelle de 1/100 000, et correspondent au terme « paysage
donné » de la Convention européenne du paysage.
Il est possible de poser l’équivalence,
une unité paysagère = un paysage.
Structures paysagères [2]
Les structures paysagères correspondent à des systèmes
formés par des objets, éléments matériels du territoire considéré, et les
interrelations, matérielles ou immatérielles, qui les lient et/ou à leur
perception par les populations. Ces structures paysagères constituent les
traits caractéristiques d’un paysage. Elles participent au premier chef à
l’identification et la caractérisation d’un paysage. Un « paysage
donné » est caractérisé par un ensemble de structures paysagères, formées
pendant les siècles.
L’analyse du paysage nécessite un exercice de sélection des
composants pour leurs relations, leur organisation particulière, leur capacité
à structurer.
Les structures paysagères reflètent l’interaction entre les
structures sociales, historiques et actuelles, et les structures biophysiques.
Les structures paysagères offrent
l’armature des projets de protection, de gestion et/ou d’aménagement du
paysage.
Les outils de représentation des
structures paysagères doivent être mis en place de façon rigoureuse. Ils
constituent une allégorie de la structure paysagère identifiée. Les
« blocs paysagers » paraissent pertinents à cet égard.
Eléments de paysage
[3]
Peuvent être considérés comme éléments de paysage, d’une
part, les objets matériels composant les structures et, d’autre part, certains
composants du paysage qui ne sont pas des systèmes (un arbre isolé par exemple)
mais n’en possèdent pas moins des caractéristiques paysagères, c’est à dire qu’ils
sont perçus non seulement à travers leur matérialité concrète, mais aussi à
travers des filtres historiques, naturalistes, d’agrément…(arbre remarquable
tel que arbre de la Liberté ou curiosité botanique).
[1] La
définition de la Convention européenne (2000) – Partie de territoire telle
que perçue par les populations dont le caractère résulte de l’action de
facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations – introduit de
nouvelles notions de « facteurs naturels et/ou humains » et
« leur inter-relation » ! Ici, le lien avec l’écologie du
paysage » est plus explicite. Influence anglo-saxonne sans doute.
(*) voir glossaire
[2]
Articles L 333-1 et L 350-1 du Code de l’Environnement
[3]
Article L 123-1 du Code de l’Urbanisme
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire