mardi 31 mars 2015

Paysage et biodiversité : quels liens ?

PAYSAGES ET BIODIVERSITE : QUEL LIEN ?

« Portion de territoire perçu par un observateur » [1]
La définition du paysage telle qu’elle s’expose dans les dictionnaires, n’éclaire pas, à la première lecture, sur le lien, qui pourrait paraître implicite entre le paysage et la biodiversité.
S’il n’était que « portion de territoire », le lien serait consubstantiel et il s’agirait là de traiter de « l’écologie du paysage » (terme impropre pour certains tenants d’une définition stricte du paysage) c’est-à-dire, plus précisément, de l’écologie du territoire ou de l’écologie spatiale.
Mais la définition, en effet, ne dit pas que le paysage est une portion de territoire, elle dit, plus précisément, qu’il l’est, « tel que perçu par un observateur ».
Il s’agit donc plus d’affaire de sens (c’est principalement la perception visuelle qui implique le paysage) et de culture (l’observateur et ses référents) que de connaissance (la géographie, l’écologie).
C’est ici que ce lien paysage/biodiversité pose question et mérite qu’on s’y arrête pour en cerner l’éventuelle réalité ou les spécificités.
Chacun sait voir et reconnaître, dans une portion de territoire, des formes, motifs, structures qui caractérisent un paysage, en tant que différent d’un autre, parce qu’ici le système de haies de cyprès dense identifie la huerta provençale de la basse vallée du Rhône là, la ligne de saules caractéristique de par sa taille en têtard évoque le paysage des secteurs inondables de la vallée de la Loire ou là encore, le versant bâti de murettes permet la reconnaissance des reliefs méditerranéens.
Ces structures paysagères (*) caractérisent (participent à l’identité) de chaque paysage, dans leur diversité.
S’y condensent, histoire, géographie, économie, savoir-faire, transmission, identification ; nous reconnaissons là les fondements d’une culture.
Bien entendu, ces « structures »(*) et « éléments de paysage »(*) participent à la vie biologique des territoires, ici « habitats », là « corridors » pour une espèce, source pour une autre, puits, coupure ou matrice pour d’autres espèces encore.





Une économie différente, d’autres influences et savoir-faire, auraient produit d’autres structures et leur aurait donc conféré un autre rôle dans l’écologie des territoires.
Aborder un projet de territoire sous l’angle stricte de la biodiversité  pourrait amener à proposer de remplacer une structure paysagère identitaire mais « neutre » ou pénalisante pour une espèce prioritaire dans la lutte contre l’érosion et conduire ainsi, à une transformation formelle radicale du paysage, qui pour l’observateur, pourra être considérée comme une agression (une perte de repère et d’identité) aussi troublante que l’implantation d’un champ d’éoliennes ou d’un quartier nouveau mal conçu.
Les démarches mono-disciplinaires ici, (l’approche par la seule écologie spatiale) pourrait dans ce cas conduire à une banalisation  des paysages (ils se ressembleraient tous) comme le commerce hors sol des grands groupes banalise les entrées de villes.
Bien entendu, le trait est ici exagérément forcé puisque, une des réponses à l’érosion de la biodiversité est l’offre du maximum de diversités de milieux (et de paysages ?).
Pour autant, cette diversité de milieux ne doit pas, dans sa conception, ignorer la diversité culturelle des paysages, c’est-à-dire la manière dont une population se reconnaît dans des formes de référence héritées autant de la transmission culturelle que des approches rationnelles.

Concrètement, si l’écologie du paysage (du territoire en fait) est la discipline maîtresse en terme de connaissance et d’élaboration de propositions permettant aux outils d’aménagement du territoire de participer à la lutte contre l’érosion de la biodiversité, le paysage apporte quant à lui, une reconnaissance de la réalité sensible et de la diversité morphologique et formelle du territoire, héritée des savoir-faire et de cultures locales  qui font référence à ce que certains désignent par le terme de « biodiversité culturelle » (qu’il vaudrait mieux désigner par « cultures et biodiversités ».

Après que les confusions de termes (paysage et écologie du paysage) sont levées,  il devient plus aisé d’esquisser des approches méthodologiques conjointes entre le naturaliste et le paysagiste, dans la mise en œuvre des outils spécifiques du paysage, comme les Atlas, des Chartes ou plans de paysage :
­       en intégrant dans l’identification des « unités de paysage » (*) la désignation des espèces inféodées aux structures (*) et éléments de paysage (*) caractéristiques de telle ou telle unité ;
­       en accompagnant la description des enjeux d’évolution de chacune des unités paysagères, des conséquences en terme d’enjeux d’évolution de la biodiversité  ;
­       en établissant les liens possibles entre les continuités paysagères d’un territoire et les corridors écologiques qu’ils peuvent représenter dans la TVB.
Ces évolutions méthodologiques des démarches paysagères permettaient de vérifier la pertinence de recherche de lien entre deux champs disciplinaires (culturels et scientifiques) aussi distincts.








PAYSAGE, UN VOCABULAIRE COMMUN : LA CONVENTION EUROPÉENNE DU PAYSAGE

Paysage :
Partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interactions.

Unités paysagères :
Une unité paysagère correspond à un ensemble de composants spatiaux, de perceptions sociales et de dynamiques paysagères qui, par leurs caractères, procurent une singularité à la partie de territoire concernée. Elle se distingue des unités voisines par une différence de présence, d’organisation ou de formes de ces caractères.
Dans les Atlas de paysages, les unités paysagères sont identifiées à l’échelle de 1/100 000, et correspondent au terme « paysage donné » de la Convention européenne du paysage.
Il est possible de poser l’équivalence, une unité paysagère = un paysage.

Structures paysagères [2]
Les structures paysagères correspondent à des systèmes formés par des objets, éléments matériels du territoire considéré, et les interrelations, matérielles ou immatérielles, qui les lient et/ou à leur perception par les populations. Ces structures paysagères constituent les traits caractéristiques d’un paysage. Elles participent au premier chef à l’identification et la caractérisation d’un paysage. Un « paysage donné » est caractérisé par un ensemble de structures paysagères, formées pendant les siècles.
L’analyse du paysage nécessite un exercice de sélection des composants pour leurs relations, leur organisation particulière, leur capacité à structurer.
Les structures paysagères reflètent l’interaction entre les structures sociales, historiques et actuelles, et les structures biophysiques.
Les structures paysagères offrent l’armature des projets de protection, de gestion et/ou d’aménagement du paysage.
Les outils de représentation des structures paysagères doivent être mis en place de façon rigoureuse. Ils constituent une allégorie de la structure paysagère identifiée. Les « blocs paysagers » paraissent pertinents à cet égard.

Eléments de paysage [3]
Peuvent être considérés comme éléments de paysage, d’une part, les objets matériels composant les structures et, d’autre part, certains composants du paysage qui ne sont pas des systèmes (un arbre isolé par exemple) mais n’en possèdent pas moins des caractéristiques paysagères, c’est à dire qu’ils sont perçus non seulement à travers leur matérialité concrète, mais aussi à travers des filtres historiques, naturalistes, d’agrément…(arbre remarquable tel que arbre de la Liberté ou curiosité botanique).





[1] La définition de la Convention européenne (2000) – Partie de territoire telle que perçue par les populations dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations – introduit de nouvelles notions de « facteurs naturels et/ou humains » et « leur inter-relation » ! Ici, le lien avec l’écologie du paysage » est plus explicite. Influence anglo-saxonne sans doute.
(*) voir glossaire
[2] Articles L 333-1 et L 350-1 du Code de l’Environnement
[3] Article L 123-1 du Code de l’Urbanisme

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