samedi 4 avril 2015

Concevoir un paysage contemporain, l'exemple des implantations industrielles et commerciales

CONCEVOIR LE PAYSAGE CONTEMPORAIN

L’exemple des implantations industrielles et commerciales.

Sébastien GIORGIS







En vingt ans, l’image de nos villes, de Brest à Avignon, de Metz à Perpignan a été bouleversée par le développement en périphérie d’un urbanisme industriel et commercial chaotique, qui transforme l’entrée des cités les plus prestigieuses en un paysage sans repères, uniforme et banalisé, sans racines ni sympathie pour la terre qui les porte.

Il est commun de nos jours de ne plus croire en cette fatalité du lien traditionnel entre la croissance économique et urbaine et la dégradation du paysage. Les exemples sont pourtant rares qui montrent que ce lien est définitivement rompu. Il est en effet plus aisé de faire le constat unanime d’un échec que de parvenir à en modifier les causes profondes. Rappelons nous que nous créons le paysage qui nous ressemble, qu’il est le miroir de notre façon de vivre, de notre organisation sociale et économique, de notre rapport à la terre et au vivant. Être capable de produire un autre paysage, c’est être capable de modifier en profondeur les mécanismes de sa production.

Cela posé, il ne faudrait pas que chacun en profite pour se retrancher derrière ces causes structurelles à l’abri d’un “on a le paysage qu’on mérite” pour continuer, la conscience rassérénée, à produire ces « non-lieux » qui nous attristent tous.

Le concepteur est par essence perpétuellement soumis à cette question de donner forme à un projet social. Son travail, à la recherche du beau paysage, consiste à réaliser cette alchimie toujours recommencée entre sa perception sensible du sujet, ici, la production d’un nouveau paysage (le paysage comme projet) et sa culture, ici, la somme de ses références en matière de paysage industriel et commercial (des références comme culture).



LE PAYSAGE COMME PROJET

Le paysage n’est pas un monument.
On peut reconnaître et protéger une façade du XIIIe siècle. Il n’existe pas de paysage du XIIIe siècle et vouloir figer l’image d’un espace n’a pas de sens. Le paysage est vivant. Il est le visage de l’activité de l’homme sur l’espace. Quand l’activité ou l’homme changent, le paysage mue.
On doit se poser en revanche la question de la qualité de cette mutation. Par qualité, s’entend la production d’un paysage généré par une démarche projectuelle qui s’appuie sur quelques points de repère stables : la géographie et l’histoire qui ont imprimé des traces profondes à la surface des choses et identifient le territoire ; le confort et la qualité de vie des habitants, la cohérence et l’harmonie plastique du nouveau paysage dans son contexte. Il y a des consensus sur “les beaux paysages”. L’art du paysage consiste à essayer de les exprimer.

Il y a diverses approches pour ce faire, toutes précieuses et nécessaires :

La forme pour la forme

Par-delà la relation essentielle entre la forme et le fond, demeure le mystère de l’émotion éprouvée devant le spectacle de certaines formes paysagères :
La frondaison sombre du bosquet qui se détache sur la crête dénudée, la lance noire du cyprès sur son éperon de safre, la force stupéfiante d’unité de la Piazza del Campo à Sienne.
Il y a des formes fortes, plus lisibles que d’autres. Il y a des contextes qui rendent forte une forme quotidienne, banale. Il y a des images qui s’impriment plus puissamment que d’autres sur notre sensibilité. Tout n’est pas explicable.

 Le paysage, visage du réel

Le paysage est l’expression globale d’un espace. Il en exprime l’essence. Il en fonde l’identité. Il s’appréhende par le regard.
Le premier travail sur le paysage consiste à regarder pour essayer de voir. Il faut voir pour comprendre. Partir de la forme perçue, visible, pour accéder au fond, caché, essentiel. La forme doit être interprétée à la lumière du fond explicité. De cette interprétation naît la forme nouvelle qui exprimera le nouvel aménagement : à nouveaux usages et nouvelles valeurs, nouveaux paysages.

 Les dimensions du paysage

Le temps : Le paysage n’est pas figé. Des formes naissent et disparaissent. Il y a des sillons profonds qui inscrivent des permanences, et des traces plus éphémères.
Les végétaux ont des croissances différentes, des bâtiments vieillissent, d’autres se rénovent. Les saisons rythment les changements de tableaux, l’agencement des couleurs, la lumière est changeante et l’ombre se déplace, s’épaissit, s’allonge. Le paysage se conçoit en quatre dimensions.

L’échelle : Il est rare de concevoir un projet sur une île. En général, il s’articule aux sites qui l’entourent, dialogue avec les villes ou les villages voisins.
La réflexion paysagère ne peut pas se limiter au périmètre foncier concerné par le projet d’aménagement.

L’étendue du regard : Il y a des plans rapprochés et des plans lointains, des paysages ouverts et des paysages fermés, des vues depuis l’intérieur du site sur les environs et des vues du site depuis les environs.
Chaque échelle du regard appelle des réflexions et des traitements particuliers.

 Le mouvement

Certaines réalités s’appréhendent par le mouvement, dans un parcours. La somme des perceptions captées sur ce parcours construit l’image globale du site. Le tracé des parcours, le traitement des ambiances qu’ils traversent est au service de cette perception cinétique du paysage.

 “Dieu est dans les détails”

Un profil de voirie peu soigné, un panneau de signalétique disproportionné, un ensemble de clôtures disparates, des proximités de couleurs de feuillage ou d’essences incongrues sont de l’ordre des détails qui polarisent le regard et souvent rompent l’harmonie d’un paysage, par ailleurs bien conçu. Le travail sur le détail, le plan d’exécution, les accommodements sur chantier font partie de la préoccupation paysagère.





DES RÉFÉRENCES COMME CULTURE

Ici et là, des réalisations remarquables jalonnent l’histoire de cette création d’une nouvelle culture en matière de paysage industriel et commercial.
J’aime penser à une “nouvelle Renaissance” qui m’incline à choisir des exemples en Méditerranée (1).

 En Italie, la ville, la vie

Par tempérament, par culture, les Italiens se méfient des mises en ordre de la ville, de cette ségrégation des activités enfermées dans les zonages fonctionnels très en vogue dans certains pays.
Leur premier réflexe est donc de faire en sorte que toutes les activités artisanales, commerciales, le tertiaire et y compris certaines industries restent en ville et si possible même dans les centres historiques, tant qu’il n’y a pas d’incompatibilité majeure de proximité avec l’habitat (bruit, pollution, ...).
C’est ce qui donne au Plan Régulateur (l’équivalent de nos POS) de Prato, par exemple, ce caractère de dentellerie fine où chaque parcelle, chaque îlot est traité spécifiquement, en étant affecté à l’artisanat, au commerce quand son voisin l’est à l’habitat.
Ces précautions, ce souci du détail produisent ce mélange organique des différentes fonctions de la ville qui n’est pas étranger au bouillonnement de la vie dont nous aimons jouir du spectacle dans les villes italiennes.
Il serait tentant d’en conclure que, la zone d’activités la plus réussie, c’est celle qui n’existe pas.
Quand la nécessité de l’isolement des activités s’impose, comme l’illustre l’exemple de la zone de Castel Maggiore près de Bologne, un processus de conception intégrée (paysage, urbanisme, architecture) se met en oeuvre par une seule équipe de concepteurs au service d’un “consortium” d’entreprises qui définissent à l’avance leurs besoins en terrains et en bâtiments.
Ce processus aboutit à un ensemble très cohérent, où la typologie du bâti et la forme urbaine sont en inter-relation, où le parti végétal est conçu globalement sur l’ensemble des lots et sur les espaces publics, où les clôtures, la signalisation sont unifiées. Le résultat est que non seulement, on aboutit à la création de petits morceaux de ville très plaisants mais de plus, l’économie d’échelle réalisée sur la conception et les travaux permet de sérieuses réductions du coût.
On est loin des processus habituels où les “urbanistes” créent des infrastructures et découpent de lots, les “architectes” viennent construire sur chacun d’eux une collection hétéroclite des plus beaux objets du monde, les “paysagistes” essaient, avec le seul outil qui leur reste, le végétal, de composer un paysage.
Et si tout cela ne faisait, comme en Italie, qu’un seul et même métier.


En Espagne, c’est en forgeant ...
Dans un contexte difficile où le foncier est rare, où l’initiative privée, très dispersée et peu contrôlée est la règle, où le prix des terrains aménagés est en conséquence très élevé, la Generalidad de Catalogne (l’équivalent de notre Conseil Régional) a mis en place un Office Foncier qui intègre en son sein un atelier public d’urbanisme et d’architecture qui assure depuis 20 ans la conception des zones d’activités pour le compte des collectivités locales.
Sa vocation de “service public” et l’expérience accumulée sur une centaine d’opérations conçues et réalisées par la même équipe pendant cette période, lui permettent d’offrir, à prix égal à ceux du marché privé, des prestations bien supérieures en matière de qualité paysagère et architecturale.
Sur la zone de Riera de Caldes, dans la périphérie de Barcelone, l’Office Foncier qui s’interdit toute plus-value à la commune, se permet d’offrir un parc urbain de 21 hectares réalisé sur le budget de l’opération.

 Chez nous, de la forêt industrielle au jardin à la française

“Nous allons créer une cité des sciences et de la sagesse où le chant des cigales remplacera le ronflement du périphérique”.
Ainsi parlait, dès 1960, Pierre Laffitte, l’inventeur de Sophia Antipolis, la Silicone Valley française, qui naîtra 10 ans plus tard.
Le principe est simple, il s’agit de disposer au milieu des pins et avec un impact minimum sur la forêt et le paysage, les bâtiments d’une industrie de pointe, où la haute technologie côtoie la recherche et l’enseignement.


Un cahier des charges interdit les clôtures et les enseignes pour préserver le caractère ouvert et forestier du site. Sophia a eu le grand mérite d’ouvrir une brèche dans les habitudes de penser qui associaient étroitement lieux de travail et environnement médiocre. Mais l’exemple reste difficilement reproductible car il n’intéresse que des activités de très haut de gamme qui ont une capacité d’investissement importante.
Cette reproductibilité n’est peut-être pas non plus souhaitable dans la mesure où la formule est excessivement consommatrice d’espaces naturels (4000 hectares sont aujourd’hui concernés) dans une région (la Côte d’Azur) où les espaces vierges se font très rares.
Une autre démarche, plus récente et qui intéresse toutes les villes de France confrontées à ces mêmes questions, est illustrée par l’ensemble des commerces et activités de la “Ville Active” de Nîmes.
Ici, sur la base d’un plan classique, symétrique et très structuré, les concepteurs (Jean Nouvel et Patrick Le Merdy) ont mis en scène les attributs courants de ce type d’équipement (enseignes lumineuses, parkings, mâts d’éclairage, pare-soleil) pour créer des fronts, des façades, des alignements et composer ainsi un paysage contemporain d’une grande cohésion et d’une grande force.


Bien d’autres cas (l’Anjoly à Vitrolles, le Millénaire à Montpellier, l’Argile à Mouans-Sartoux près de Grasse) montrent qu’il est possible de créer des paysages contemporains de qualité.
Il faut simplement réunir des conditions de production et de gestion de ces nouveaux quartiers, ce qui passe par une volonté politique forte, une conception globale et intégrée au processus depuis l’origine (c’est-à-dire dès le choix du site), une gestion unique notamment du patrimoine végétal introduit, qui permet d’en maîtriser dans le temps, la cohésion.
Pour la première, la condition “fondatrice”, il faudra que les communes cessent très vite la concurrence monstrueuse qu’elles se livrent pour attirer sur leur territoire les entreprises porteuses d’emplois et de taxe professionnelle, car cette lutte s’opère au prix d’un nivellement par le bas des exigences qualitatives.
Les nouvelles mesures en faveur de l’intercommunalité viennent à point nommé pour restituer la logique d’implantation d’activités à l’échelle géographique, celle de l’agglomération, du bassin, de la vallée, du pays, la seule échelle cohérente du point de vue du paysage.








(1)      S. GIORGIS : “Zones d’activités et paysages” - Avignon – 1991      
Recherche réalisée pour la Direction de l’Environnement de la CEE et de la Mission du Paysage. 








LÉGENDE DES ILLUSTRATIONS




1.   NIMES - VILLE ACTIVE                       UNE CONCEPTION CLASSIQUE RIGOUREUSE.



2.   NIMES - VILLE ACTIVE                       MATS, ENSEIGNES, PARE-SOLEIL MIS EN SCENE
POUR UN PAYSAGE CONTEMPORAIN.



3.   SOPHIA ANTIPOLIS                            “OU LE CHANT DES CIGALES REMPLACERA
LE RONFLEMENT DU PERIPHERIQUE”.



4.   CASTEL MAGGIORE                           UNE CONCEPTION GLOBALE “URBANISME,
ARCHITECTURE ET PAYSAGE” DE L’ENSEMBLE
DE LA ZONE.



5.   PUIGCERDA EN CATALOGNE            DANS UN VIS A VIS DELICAT AVEC LE VIEUX VILLAGE,
LES ATELIERS ARTISANAUX S’ALLONGENT,
COMME UN TRAIN A L’ARRET LE LONG DE LA VOIE DE CHEMIN DE FER.



6.   ZONE D’ACTIVITE DE L’ANJOLY        ARBRES D’ALIGNEMENT, IMPLANTATION
      A VITROLLES                                      OBLIGATOIRE DES BATIMENTS SUR RUE, CLOTURES
ET COULEURS COORDONNEES, POUR COMPOSER
LE PAYSAGE D’UN BOULEVARD URBAIN.



7.   RIERA DE CALDES                              21 HECTARES DE PARC URBAIN OFFERT AUX HABITANTS DE BARCELONE.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire