Qu’est ce que la beauté d'un
paysage?
C'est à une bien belle question à laquelle nous sommes invité à
travailler. Car, au delà de la caricature que tout ce qui serait
moderne et/ou utile à la vie d'aujourd'hui serait " laid" et tout ce
qui serait ancien serait "pittoresque", charmant , confortable à
vivre, respectueux de" l'identité" ( c'est le crédo de certaines associations de
"protections des paysages"), il y a des débats très profonds et
contemporains qui touchent à des questions comme celle de la re-localisation de l'économie, ou celle de la partition entre ce qui devrait être de
l'ordre de l'initiative libérale et ce qui aurait vocation à faire partie du champ de la solidarité
et du bien publique, ou encore celle qui touche à l'avenir de l'humanité sur cette planète, au regard de
nos consommations sans limite des ressources et des modifications profondes de
l'environnement qui ouvrent à ce que certains ont appelé l'anthropocène (1).
Une des questions qui nous est posée face à ces
défis pour l'humanité, nous conduit à
nous demander s’il ne revient pas à TOUS les territoires de produire, entre autre,
l’énergie, l’habitat et la nourriture dont ils ont besoin. Car à l’inverse, imaginer qu'il pourrait y avoir des territoires ( et leurs populations) servants (c’est à dire productifs et accueillant la plus grande partie de la population du pays) et des territoires servis, « protégés », bénéficiant de toutes les attentions de l’État ( les parcs, sites classés, directives paysagères) et réservés, est
simplement, d’un point de vue de la stricte démocratie et solidarité,
inacceptable
Peut on, sans état d’âme, accepter que des
populations ( la grande majorité) vivent dans les environs immédiats de centrales nucléaires, de centrales thermiques, de « zones » de
production, de couloirs d’infrastructures pour pouvoir servir, en énergies, en
produits manufacturés, en services, en facilités de transports, les Disneyland
du bon gout et du beau paysage « à la française » d' où le
garagiste, le maçon, le berger, le fils du boulanger qui veut se faire une
maison à côté de celle de sa famille ou l’agriculteur qui veut diversifier ou
compléter ses revenus par une production énergétique, voient leurs projets
stigmatisés ( et finalement exclus) car « ils ne s’intègrent pas dans le
paysage ».
Bien entendu, les choses ne sont pas aussi
caricaturales (quoi que …) et, pour ne parler que de la production des
énergies, il paraitrait plus juste ( plus économique, plus écologique, plus
"paysagèrement" pertinent) de considérer qu’il revient à chaque
territoire de mettre en valeur le potentiel énergétique dont il est porteur
pour répondre à ses propres besoins (le surplus allant à la mutualisation et à
la solidarité).
Il revient donc aux populations de ce territoire, à travers un
débat démocratique, d’en choisir le ou les moyens.
Il revient alors aux "hommes
de l’art" et de la technique (que nous sommes souvent ici), d’étudier et de
concevoir les réponses qui conviennent, du point de l’usage, du confort de vie,
du caractère du lieu, de la durabilité de la réponse.
Nul n’est légitime pour
interdire ce processus sous couvert d’une « protection » d’un paysage
dans lequel souvent, il ne passe que quelques semaines par an . La sociologie
des conseils d’administration des associations de "protection des paysages" est
de ce point de vue assez éloquente et ce sujet mériterait une thèse doctorale,
ceci est un appel !
Car, en cette matière de «
protection », il y a des contradictions difficilement soutenables quand,
par exemple, le préfet a ordre, sous couvert de protection des terres
agricoles, d’interdire tout projet photovoltaïque implanté sur ces surfaces
quand dans le même temps, 70 000 hectares par an sont irréversiblement, artificialisés sous les
autoroutes, les TGV, les rocades, les « éco quartiers » les centrales
EPR, Iter, les centrales thermiques ou même des gendarmeries…et ce, sans que personne
(dans les préfectures en tout cas) n’en mette en doute l’opportunité.
Ce
« deux poids, deux mesures » est il le résultat de la subite,
urgente et très louable intention de "protéger les paysages" et les terres
agricoles, qui règne désormais dans le royaume paysager de Bisounours. Ce sujet du paysage serait il le seul miraculeusement exonéré des conflits d’intérêts et
des rapports de force ?
Il n’est pas certain que cela nous passionne
beaucoup de nous lancer ici dans un échange polémique sur les hypothèses de
réponse à cette question. Nous avons chacun notre petite idée sur la question
et cela peut suffire.
En revanche, et nous répondons là directement à
l’invitation qui nous est faite, nous reposer ici la question du paysage au regard des
questions contemporaines que sont, notamment, celle de la re localisation de la
production alimentaire, de la transition énergétique, de la réintroduction de
la vie dans les sols et les territoires ruraux, de la santé, de la solidarité
(180 000 sans abris, 4 millions de mal logés), du rapport aux autres parties du
monde et autres questions fondamentales du vivre ensemble, est une perspective
passionnante.
Le paysage est un projet social, économique,
culturel. Sa beauté nous revient comme l’image de la beauté de l’intelligence
collective qui l’a pensé, comme l’expression des économies de moyens qui a
présidé à sa mise en place et à sa gestion, dans la cohérence
(l’harmonie ?) entre acteurs, portés par une même logique (une culture
partagée) et un même souci de confort de vie et de vivre ensemble.
Il n’a jamais été le résultat d’un acte
d’autorité extérieure. Certes, aujourd’hui, les processus de transformation des
territoires sont violents, l’intelligence n’y est pas mobilisée, le gaspillage
(d’espace, de ressources, de vie) s’est substitué à l’économie (la véritable). Mais pour autant, il nous faut réapprendre à faire une société, à faire
confiance aux citoyens et à leurs entreprises. Cette confiance sera toujours
bien placée ; viendrait il à l’idée d’un peuple du désert de produire de
l’énergie à partir de l’hydroélectricité ?
Les peuples, figures vivantes de l’identité d’un
territoire, sont les seuls experts de la construction d’un paysage qui leur
ressemble, parce qu’ils sont profondément, ontologiquement, ancrés dans la
géographie et dans l’histoire, porteurs de la culture du paysage que nous
savourons d’une manière gourmande aujourd’hui.
Dans leurs fermes (qui sont des entreprises
privées, grâce au ciel !), les agriculteurs ont toujours su cultiver au
mieux l’énergie pour nous la rendre assimilable. Ils ont pour cela transformé
le paysage, inscrit dans le sol les lignes du drainage qui ordonnent la
géométrie rigoureuse du parcellaire et orientent les lignes abstraites des rangs
de vignes ou des coussinets de lavandin. Ces beaux paysages, dans le Vaucluse, ont
moins de 50 ans d’âge. Le système de haies de la « huerta »
rhodanienne, inventé pour protéger les productions d’une nouvelle agriculture
marchande arrivée avec le chemin de fer, en a à peine plus de 100. Ces paysages
modernes sont aujourd’hui l’identité de ce département. Mais ne nous méprenons pas,
il s’agit d’une identité vivante, celle qui est chère à Braudel, et non de
cette identité mortifère, qui se fige dans le folklore et les cabanes en
pierres sèches qui ornent le centre des ronds points.
Alors, laissons les continuer à vivre et à créer
et nous verrons bientôt comment les « fermes » éoliennes, les
« champs » photovoltaïques (et pourquoi reproduiraient ils les
déserts de vie qui sont ceux des paysages agricoles d’après guerre ?)
seront mobilisés, comme le sont les terrils et les corons du nord aujourd’hui,
pour illustrer le génie paysager de l’Humanité. Mais, est-ce vraiment une
belle fin ?
Sébastien GIORGIS
15/07/2012
1- terme popularisé à la fin du XX ème siècle par Paul Cruzen, prix Nobel de chimie
1- terme popularisé à la fin du XX ème siècle par Paul Cruzen, prix Nobel de chimie
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