Il y a quelqu’un dans le vent
Saint-Pol-Roux
LE VENT, LE PAYSAGE
qui est fixe, qui est mobile ?
L’un
(le paysage) n’a de sens que par le
regard,
L’autre
(le vent) est une substance invisible qui ne se laisse percevoir que par ses
effets.
Ici,
en Vaucluse, il prend matière visible dans cette manière particulière qu’a le
maçon (génois ?)[1]
d’appuyer son débord de toiture sur une ou plusieurs rangées de tuiles pour
empêcher que la force du mistral ne retrousse son toit ou dans celle du
ferronnier qui rend transparent, par le campanile, la pointe du clocher à la
force du mistral.
Ce
même mistral offre une des structures paysagères les plus emblématiques de la
basse vallée du Rhône : la « huerta » comtadine, singulier
bocage qui cloisonne les horizons des plaines et vallées ouvertes à tous vents.
Cette
forme paysagère est intéressante au regard de la « patrimonialisation
paysagère » contemporaine. En effet, ce paysage « local » qui,
pour certains, fonde, au même titre que les murs de pierre sèche sur les versants
ou la tuile canale sur les toits, l’« identité » de cette région, est
en fait un paysage récent, introduit dans le même temps que le chemin de fer,
au XIXe siècle, qui transformait l’agriculture vivrière en agriculture de
productions commerciales (arboriculture notamment) nécessitant la protection au
vent des parcelles. Qui, du vent ou du
paysage, est le plus mobile et de quelle identité s’agit-il en fait ?
L’exemple
de ce bocage permet d’éclaircir cette question : quelle est l’identité de
ce pays soumis à ce vent puissant et fréquent (plus de 150 jours/an) et comment
se construit sa représentation et son appropriation paysagère contemporaines.
Dans
un monde devenu minuscule (et menaçant ?), où les modes de penser, les manières
de parler, de s’habiller ou de manger semblent s’uniformiser, ces paysages
(qui, eux, ne prennent pas l’avion !) se trouvent chargés d’une mission nouvelle : celle d’être un des refuges
identitaires les plus investis par les populations. Cette
« identité » là s’attache à cristalliser (à « protéger »)
les formes héritées, le plus souvent, du milieu du XXe siècle ?
Cette
crispation identitaire sur un paysage arrêté, est à l’opposé de
l’« identité » dont nous parle Fernand Braudel, celle qui, à travers
les siècles, reste entière et vivante par delà les formes qu’elle a pu prendre
(et créer) à chaque époque.
Qu’est-ce
donc que l’identité de ce pays ? Est-ce la corniche, le campanile, la haie de
cyprès ou est-ce plutôt le vent et la succession, à travers les siècles, des
manières d’y adapter nos vies, nos techniques et nos économies ?
L’arrivée
des éoliennes dans ce territoire est une magnifique illustration de ces deux
manières « d’être » au paysage.
Pour
certains, ces machines industrielles détruisent l’identité des paysages provençaux.
Ils en éprouvent un sentiment d’agression vécu d’une manière d’autant plus vive
que le paysage concerné est au plus près des représentations des paysages
d’avant guerre.
Les
autres, à l’opposé, considèrent que les éoliennes, au-delà de leur vertu écologique
et de leur design perçu comme élégant, donnent du sens au paysage en rendant
visible une de ces caractéristiques physiques invisibles : le vent.
La
violence du débat dépasse la simple controverse esthétique. Elle illustre cette
question de l’identité appliquée au paysage. Pour l’« agressé », on
touche à l’intime, à sa personne. « Avec ces machines, je ne ME reconnais
plus dans MON paysage ».
L’éolienne,
c’est l’intrus, c’est l’étranger, la société « anonyme », le groupe
industriel, celui qu’on ne connaît pas. Qui plus est, il va utiliser
« mon » paysage, pour gagner de l’argent…
Rien
de tel quand il s’agit, pour un impact paysager équivalent, de ce qui est perçu
comme un bien commun, ou d’une transformation du paysage portée par la
puissance publique, comme c’est le cas, par exemple, pour le pont de Millau ou
pour la ligne THT d’EDF. Ici, même s’il y a débat (et parfois, pour les lignes,
combat), la violence est absente car, bien que paysager, il ne concerne pas la
confrontation de l’intime et de l’étranger, mais il appartient, plus
classiquement, à celui de la transformation des paysages.
Le
paysagiste, par vocation, par fonction sociale, par sensibilité et par culture,
est à l’écoute des différentes expressions, souvent sincères, de cette controverse.
Mais il est là aussi pour affirmer que le paysage est vivant, qu’il est animé,
entre autre, par le vent, cette « [seule]
force dynamique qui semble affranchie de la gravité terrestre » (Gaston
Bachelard) comme il l’est par la logique érosive de la gravité universelle.
C’est donc bien de vie et de dynamique qu’il s’agit lorsque l’on travaille sur
le paysage. Celles des hommes, de l’eau, du vent et de la terre et de leurs
processus de transformation permanents.
Parfois,
étourdis et fatigués, on aimerait bien, comme Jean-Luc Godart, poser cette
question : « Père, que fait le
vent quand il ne souffle pas ? » : peut-être s’est-il assoupi à
l’ombre de la corniche du toit…
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